Jeudi dernier, j’ai été invitée par la Maison Française de l’Université de Nazareth à Rochester pour une rencontre autour de la langue, de la création littéraire en français et de l’influence des deux cultures (américaine et française) sur mon travail d’autrice.
Il y avait une quarantaine de participants sur Zoom et j’ai eu droit à des questions vraiment géniales, dont je vous fais un petit résumé ici :
Barbara : – Il y a des auteurs qui écrivent un livre ensemble, à quatre mains. Qu’en penses-tu ? Aimerais-tu le faire, et avec qui ?
Moi : – Oh là là ! J’ai déjà du mal à écrire avec moi-même, alors à deux… Dans la vie, on peut diviser les auteurs en deux catégories. D’abord, il y a les Architectes, ce sont ceux qui font des plans très précis de chapitres, des fiches personnages, ils savent exactement où ils vont avant de commencer à écrire leurs romans. Et puis, il y a les Jardiniers, comme moi qui se disent « Ah tiens, j’écrirais bien ça. », « Ah oui j’ajouterais bien tel personnage », « Et à la fin, ça conclurait comme ça. » Ensuite, il faut accrocher ensemble toutes les pièces du texte, en supprimer beaucoup, en ajouter jusqu’à aboutir à une histoire… C’est très compliqué et chronophage… Mais c’est comme ça que j’aime travailler ! Si je connaissais l’histoire à l’avance, je n’aurais pas envie de l’écrire ! Seulement ce n’est pas très compatible avec le travail à plusieurs…
Bon, après, si je devais choisir un auteur avec qui écrire, ce serait Fredrik Backman (Ma grand-mère vous passe le bonjour, Vieux râleur et suicidaire). Il a un don pour écrire des choses très tendres et drôles sur des sujets terribles (la précarité, le deuil). Je voudrais comprendre comment il arrive à faire ça ! C’est un peu dans cet esprit que j’ai écrit Mémoires d’éléphant.
Joëlle : – Est-ce que l’anglais américain a transformé la manière dont tu parles le français et dont tu écris ?
Moi : – Oui bien sûr ! Je pense que nous les Français, nous sommes plus dans l’implicite, dans le formel, on prend parfois de longues et belles phrases polies pour exprimer quelque chose ; alors que les Américains sont plus directs, plus efficaces, plus explicites. Je crois que d’avoir vécu aux Etats-Unis m’a aidé à assumer mon discours, à aller droit au but.
Eric : – Alors, les Etats-Unis ont influencé ton écriture ? Comment ?
Moi : – Il y a plusieurs choses : je crois qu’en France, on a tendance à considérer comme plus légitime une littérature qui est beaucoup dans la psychologie, dans l’introspection, dans l’analyse des sentiments et souvent assez centrée sur Paris. Aux États-Unis, on aime les bonnes histoires, avec de l’action, de l’aventure et une langue plus simple. En vivant ici, j’ai fini par comprendre que moi, cela me plaisait d’écrire de bonnes histoires, qui avancent, qui sont agréables à lire. J’écris « de manière simple » et c’est un vrai choix. J’ai retrouvé le plaisir d’écrire et de lire car je ne me censure plus. En ayant fait des études de lettres, j’avais intégré qu’il y avait une littérature au-dessus des autres, très stylisée, très intellectuelle et que lire pour le plaisir ce n’était pas vraiment lire. Maintenant j’assume d’écrire de bonnes histoires, qui permettent de s’évader et qui racontent quelque chose.
Un autre élément marquant, c’est qu’en France, l’auto-édition est très mal perçue : on voit cela comme un plan B pour auteurs ratés, alors qu’en Amérique, il y a une culture de l’entreprenariat qui est plus forte et toujours cette notion de plaisir. L’idée c’est que le lecteur est le maître : si ton livre auto-édité est mauvais (dans le style, l’histoire, la présentation, etc) alors le lecteur ne suivra pas, c’est tout. Tu prends le risque, donc tu as intérêt à bosser. Il y a également la vision de l’éditeur comme d’une personne qui prend un risque pour vendre et qui défend une ligne éditoriale : c’est pourquoi il y a par exemple énormément d’auteurs hybrides ici. Un roman est soutenu par un éditeur ? C’est super ! Un roman est un peu en marge, peut-être qu’il n’y a pas vraiment de maison d’édition qui corresponde ? Ou alors l’auteur n’est pas suffisamment connu ? Il peut choisir l’auto-édition. Vraiment, aux États-Unis, les deux co-existent et moi, en m’expatriant, je suis passée de « Si aucun éditeur n’est séduit par mes livres, je ne deviendrais jamais autrice, tant pis, j’aurais raté ma vie. » à « OK, essayons de publier un premier roman, pour voir à quoi ça ressemble, le travail d’édition ». Parce que derrière la prise de risque, il y a un travail énorme, un travail d’artisan : se publier, ça implique énormément d’apprentissage. Ce n’est pas seulement écrire et terminer une bonne histoire, c’est aussi corriger, mettre en page pour l’impression, créer une couverture, un site Internet, une newsletter, une identité publique, assurer la promotion, programmer des rencontres avec les lecteurs… Il y a des milliers de détails auxquels on ne pense pas forcément !
Steve : – L’Académie Française vient de décider qu’on devait dire la COVID, qu’en penses-tu ? Tu peux nous expliquer ce qu’est l’Académie Française ?
Moi : – Tu veux une réponse formelle ou je peux donner mon avis politique ? Pour moi cette Académie ne sert à rien, la langue bouge et se transforme parce qu’on la parle. Tout le monde dit le COVID depuis deux mois, rien ne va changer parce que l’Académie a édicté cette règle. Il y a un an environ, l’Académie Française a décidé d’autoriser le féminin de certains métiers, comme autrice pour une femme auteur. Avant cela, il y a eu des pressions, de plus en plus de personnes qui employaient ces termes au féminin. Pour moi, le choix des mots est important. Pouvoir nommer les choses proprement, par exemple en reconnaissant la présence des femmes dans le milieu littéraire, c’est important. La langue est faite pour bouger, évoluer, refléter une époque et une culture. Alors, parlons et n’attendons pas la permission de l’Académie !
Mireille : – L’Académie Française est aussi un organisme qui gère la rédaction du dictionnaire de la langue française, qui permet de fixer le bon usage de la langue.
Moi : – Oui mais un dictionnaire aussi, c’est politique : les mots qu’on choisit d’y mettre, et avec quelle définition, ça dit quelque chose politiquement ! Est-ce qu’on y met les mots les plus utilisés ou des mots corrects définis par une règle ? Je conseille à ce sujet l’excellent podcast de Laélia Véron, Parler comme jamais, l’épisode : Votre dictionnaire est-il de droite ?. Prenons l’exemple de « meuf ». Il y a quinze ans, le verlan (parler à l’envers) était très populaire chez les jeunes, c’était un langage rebelle, pas légitime. Meuf était presque un mot un peu méprisant. Aujourd’hui, le mot « meuf » tout le monde l’emploie, il est dans le dictionnaire, et on le retrouve partout dans les médias, la communication : c’est devenu un mot à la mode. Pourtant je ne suis pas sûre que l’Académie apprécierait !
(Note : pour plus de détails sur le travail mené par l’Académie Française, rendez-vous sur leur site. On y découvrira par exemple que, plutôt que de parler de « followers », on utilisera « acolyte des illustres ».)
Eric : – Alors si on te proposait de faire partie de l’Académie Française, tu dirais quoi ?
Moi : – On ne me le proposerait pas, parce que je suis jeune, je suis une femme et en plus je m’auto-édite ! Je ne sais pas. D’un côté, comme je l’ai dit, je ne crois pas à l’influence de l’Académie Française, donc ça ne me fait pas rêver d’en faire partie… D’un autre côté, ça pourrait être l’occasion de réfléchir à des idées neuves, de prendre la parole et de faire bouger les choses!
Gianna : – Est-ce que tu aimes lire de la BD ?
Moi : – Oui, et j’adore Emmanuelle Houdart, parce qu’elle fait des dessins fabuleux, à la fois tendres et inquiétants, et tellement riches de détails qu’en regardant un dessin, on se raconte une histoire… En ce moment, je me replonge dans Abris !

Eric : – J’ai un ami écrivain qui dit que chaque roman commence par un choc émotionnel fort, une commotion… C’est comme ça que lui vient l’envie d’écrire. Est-ce que c’est pareil pour toi ?
Moi : – Il n’y a pas toujours un grand choc pour moi, l’idée peut venir d’un petit détail tout simple… Mais pour que ce détail devienne une histoire, il faut que ça tourne à l’obsession. Je démarre souvent plus de romans que je n’en termine, mais quand le roman m’obsède, j’y pense sans arrêt jusqu’à ce qu’il soit écrit, tout me renvoie à ça, je vois des éléments partout qui peuvent l’enrichir…
Pour Mémoires d’éléphant, tout est parti d’un homme qui est entré dans la bibliothèque où j’étais, en pyjama, avec un éléphant en peluche dans son sac à dos. Il était heureux comme tout. Je me suis dit « Quelle est son histoire ? ». C’était un moment furtif, mais cette question ne m’a plus lâchée jusqu’à ce que je mette le point final.
Jacob : – Est-ce que tu écris un nouveau roman en ce moment ? Est-ce qu’il se passe en France ou aux Etats-Unis ?
Moi : – C’est drôle qu’on me pose cette question, parce que beaucoup de mes lecteurs se demandent si Mémoires d’éléphant se passe en France ou aux États-Unis… Je pense que quand je l’ai écrit, j’étais vraiment dans le mélange des deux cultures…
En ce moment, j’écris deux romans ! Un qui se passe en France, qui est plus intime et introspectif et qui s’appelle Ma Grande. L’autre qui est une saga d’anticipation / aventure qui rend hommage aux paysages et à la culture américaine et qui s’appelle Lost Vegas (titre provisoire). Je ne sais pas si je devrais le qualifier de roman d’anticipation : je voulais parler du système de santé américain en période de fin du monde… C’était il y a un an et depuis il y a eu la pandémie, alors : anticipation ou contemporain ? En tout cas, voilà ce sur quoi je travaille…
Jacob : – Dans Lost Vegas, est-ce que les personnages sont français, américains ou les deux ?
Moi : – Il y a un personnage secondaire français, mais les autres sont américains. Par contre ils viennent d’un peu partout : de la côte Ouest comme de la côte Est, puisque ce sont les deux endroits où j’ai vécu !
Jacob : – Est-ce que les Français se font la bise malgré le COVID ou plus de tout ? Est-ce que tu crois que ça reviendra ?
Moi : – Non, il vaut mieux ne pas se faire la bise ! Moi ça me va, car je n’y suis plus habituée… Ça me ferait tout drôle d’embrasser quelqu’un sur les joues, comme ça me faisait drôle au début le « hug » américain, d’autant qu’il est très codifié : on passe une main par dessus l’épaule, l’autre en dessous, c’est toujours le même bras en haut et selon qui je salue, je ne le serre pas pareil… Maintenant je m’y suis faite, et c’est comme si j’étais en train de me ré-expatrier dans mon propre pays ! Tout me surprend ! Même vouvoyer les gens, je trouve ça difficile, j’ai peur de me tromper parfois… !
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